DE LA BELLE CHARCUTERIE

Un rideau rouge viscères s’entrouvre, au loin un arbre dans le brouillard du matin, nous sommes au pays de Daniel Daniel. Un cheval de sang inonde la forêt de son trot, dépèce et mercurochrome la sapinière, et part au grand galop dans le Musée. Daniel Daniel (alias Daniel Lannoy), c’est de la grande petite peinture, le chevalet en équilibre, la palette qui déborde. Dans ce que le quotidien a de plus vif, de plus magique, de plus inventif, dans ce Concours Lépine permanent, ou comment créer avec les matériaux pauvres de la vie au jour le jour. Comment rendre l’anecdote intelligente, lui donner une vraie histoire.

 Un homme au nez masqué de vert dans la nuit, un cracheur de végétations dans les drapés pourpres, un portrait au corbeau dans l’entre chien et loup – ce goudron raffiné dans les lilas. Il y a dans ces acryliques du Freaks, du Psychose, du Twin Peaks, du Star Trek! De l’imagerie de kermesse, de heavy metal ou de courses de dragsters, car toute image est manipulable, transposable, potentiellement digne d’intérêt, belle sous le maquillage. Et la jolie demoiselle peinture se fait lacérer derrière un rideau de douche, et l’oeil est en fête, on mange des barbapapas, les filles ont mis du rouge à joues, la vie est un kaléidoscope. Daniel Daniel est le Prince Carnaval dans la sérénité des monochromes.

Lumières d’autoroute, de soirs de pleine lune, de music-hall à la fermeture, de Noël à minuit. Blafardes, fluorescentes, brumeuses, annonciatrices, meurtrières. Couleurs improbables, artificielles, empâtées, à paillettes, de lipsticks ou de confiserie. Petites pralines dangereuses, dragées hautes, zakouskis de pinacothèque! Et un oeil occupe tout l’espace de la toile, tendu sur châssis – la pupille redevenant au premier sens du mot une petite poupée, un autoportrait digéré, un Arnolfini discret. C’est de la peinture de sous-bois, de Petit Théâtre des Horreurs, de laboratoire à lubies, de chambre aux murs tapissés de démons dans les flammèches du jour qui s’éteint.

Daniel Daniel est inclassable, impossible à copier, à situer, inimitable, c’est de l’idée propre en direct. C’est un peu vache – comme la période du même nom du Grand René (Jean-Marie et le Stropiat sont de retour!) – pour les historiens de l’art, c’est de la belle charcuterie. C’est du pied de nez, les pieds dans le plat, à pieds joints dans les ismes pour tacher le beau costume des Artistes dans le Vent. Il y a chez Daniel du Topor et du Segui, du Clovis Trouille et du Picabia déroutant aussi, le côté dandy-terroriste en moins. Avec plus de cirque, de fanfares, de farces et attrapes, plus de lards au sucre roses et blancs, de coeurs vivants qui palpitent. Et de gros cumulus à enfourcher pour voyager dans le ciel bleu de l’imagination.

François Liénard, mars 1999.
De la belle charcuterie, Le Chalet de Haute Nuit, Bruxelles, 1999.

 

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